Pourquoi l'Égypte reste-t-elle le pays qui excise le plus de femmes au monde ?
Avant-garde du féminisme arabe
Née au Caire des années 1930, dans une famille de la classe émergente, Nawal el-Saadawi est notamment l'autrice de deux livres féministes de référence dans le monde arabe : Au début, il y avait la femme et La Femme et le Sexe. S'inspirant de son propre vécu traversé de drames et de combats, comme ce moment où à 10 ans sa famille tente de la marier, Nawal el-Saadawi a fait de l'écriture une voie royale pour mener cette bataille contre les injustices dans son Égypte natale et au-delà. Car la jeune enfant s'est rendu compte très tôt que les filles étaient moins appréciées que les « fils ». Elle racontera plus tard comment sa grand-mère lui lança un jour : « Un garçon vaut au moins 15 filles. » « J'ai dédié toute ma vie à l'écriture. Malgré tous les obstacles, j'ai toujours continué à écrire », avait dit cette mère de deux enfants, une fille et un garçon, qui a « divorcé de ses trois maris ».
Nawal el-Saadawi a par la suite gagné l'une de ses premières batailles et a obtenu un diplôme en médecine de l'université du Caire en 1955. Elle a travaillé ensuite comme médecin, se spécialisant finalement en psychiatrie. La politique l'attirait aussi, c'est ainsi qu'elle est nommée directrice de la santé publique au ministère de la Santé, mais, à la sortie de son ouvrage La Femme et le Sexe, elle est renvoyée. En 2007, l'institution théologique Al-Azhar, l'une des plus prestigieuses de l'islam sunnite, portait plainte contre elle pour atteinte à l'islam. Un mois plus tôt, son autobiographie et l'une de ses pièces de théâtre avaient été bannies de la Foire du livre du Caire. Entre-temps, elle avait fondé l'Association de solidarité des femmes arabes et un magazine féministe.
De la prison à l'exil
Dans les années 1990, l'apparition de son nom sur une liste de personnalités à abattre, dressée par des milieux extrémistes islamistes, l'avait poussée à s'installer aux États-Unis de 1993 à 1996, où elle enseigna alors à l'université de Dukes après un court passage par les geôles égyptiennes. Car Nawal el-Saadawi s'est longtemps battue contre « les fondamentalistes religieux ». Sa vie privée n'a pas non plus été épargnée : Nawal el-Saadawi a été au centre d'une procédure judiciaire visant à la séparer de son époux. En 2001, un avocat attiré par les procès à sensation avait estimé que leur mariage devait être annulé, l'islam interdisant à un homme d'épouser une femme non croyante.
Opposée au régime des Frères musulmans
Elle avait alors quitté le pays, avant d'y revenir en 2009. Nawal el-Saadawi n'était pas seulement une féministe, elle s'était également engagée en politique et avait envisagé de se porter candidate à l'élection présidentielle de 2005. Découragée par le contexte, elle s'était rapidement retirée de la course, dénonçant une « parodie » de démocratie orchestrée du temps de l'ex-raïs Hosni Moubarak, chassé en 2011 par une révolte populaire. « Les Frères musulmans ont tiré profit de la révolution de 2011 », avait-elle déclaré en qualifiant « d'année horrible » la courte mandature d'un an de l'ex-président islamiste Mohamed Morsi, issu des rangs de la confrérie et élu démocratiquement avant d'être destitué par l'armée en 2013. Mais elle avait été critiquée pour son soutien à la destitution de Mohamed Morsi par le général Abdel Fattah al-Sissi, devenu président. « Les femmes ne peuvent pas être libérées dans une société de classe ou une société patriarcale dominée par les hommes. C'est pourquoi nous devons nous débarrasser, lutter contre l'oppression de classe, l'oppression de genre et l'oppression religieuse », a déclaré el-Saadawi à CNN dans une interview en 2011. « Nous ne pouvons pas parler de révolution sans les femmes », disait-elle avec une pointe d'amertume. Les réactions à l'annonce de sa mort se multiplient ces dernières heures. Fatma Bouvet de la Maisonneuve, psychiatre et addictologue, pleure un modèle.
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